Tout occupé qu’il était à apprivoiser le renard, il ne l’entendit pas venir. Depuis quand était-elle là ?
Elle a dit « s’il te plait, dessine moi un mouton ».
Le petit prince n’en est pas revenu.
Et pour qui se prenait-elle, cette petite fille toute brune ? Et d’abord, ne voyait-elle pas qu’il était occupé ?
Pourtant, qu’elle puisse avoir dit ça comme ça l’avait piqué de curiosité. Et qui était-elle donc, que faisait-elle ici, loin de tout ?
Intrigué, il prit dans sa poche son carnet et lui dessina un beau mouton frisé.
Il lui tendit le feuillet en souriant, elle le prit à l’envers.
« Pourquoi m’as-tu dessiné un mouton qui est tombé ? »
« Il n’est pas tombé. Tu le regardes à l’envers, c’est tout ! »
« S’il te plait, dessine moi un mouton debout ! »
Il jeta un regard désolé vers le renard qui avait disparu et reprit son crayon.
« Voilà, ça c’est de l’herbe et le mouton est dessus, debout, d’accord ? »
Elle prit le dessin, le regarda de toutes les manières, puis eu un petit sourire coquin.
« Tu saurais dessiner un mouton en train de tomber ? »
Mais pour qui le prenait-elle ? De quelle planète était-elle donc tombée ?
Excédé, mais séduit quand même, il reprit son carnet et d’un air très inspiré lui dessina une belle racine et le mouton en train de piquer du nez.
Toujours charmeuse : « Tu dessines très bien, saurais-tu dessiner un mouton qui n’est pas en train de tomber ? ».
« Bien sûr, c’est le deuxième ! »
« Non, celui-la il est débout, et le premier non plus puisqu’il est déjà tombé. S’il te plait, dessine moi un mouton qui n’est pas en train de tomber ».
Alors là, il était éberlué. Par Saint Ex ! La petite chipie lui avait damé le pion !
C’est vrai, on peut dessiner une chose, même un mouvement, … mais comment peut-on dessiner quelque chose qui ne se passe pas ? C’est toujours quelque chose que l’on dessine, jamais son absence !
Et d’un coup, il comprenait comment les Hommes se font tant de soucis : c’était simple au fond, au lieu de vouloir « oui quelque chose » et de la faire, la plupart du temps ils pensent « non une chose » et cette chose emplie leur tête.
Avant de faire quelque chose, il faut « l’imaginer », c’est comme un dessin dans la tête !
Comment peut-on imaginer ce que l’on veut quand on a la tête pleine de ce que l’on ne veut pas ?
Cela signifiait-il que, lorsqu’on ne veut plus une chose, il vaut mieux « penser que ce que l’on veut » ?
Il se dit qu’il devrait en parler à ses amis.
Lorsqu’il sortit enfin de sa réflexion, la petite fille avait disparu.